Aniaba, le protégé africain de Louis XIV
L’apparition d’un mousquetaire de « carnation sombre » dans le deuxième volet de l’adaptation cinématographique de Martin Bourboulon, Les Trois Mousquetaires : Milady (2023) a suscité le questionnement de certains spectateurs sur la réalité historique de sa présence. S’agissait-il d’une autre production qui avait cédé aux sirènes du wokisme ? Alors qu’une nouvelle série TV est en préparation : Black Musketeer sur Disney+, nous nous sommes dit qu’il était temps de « débunker » le sujet.
Par Franco | Dernière mise à jour : 18/08/2024
Aux origines de l’affaire Aniaba
Pour comprendre la source du dilemme de cette histoire à rebondissements, il faut s’intéresser aux peuples (*1) de la région d’origine d’Aniaba, le protagoniste de notre passionnante aventure.
Aniaba appartenait à l’ethnie éotilé, un peuple de pêcheurs d’un chapelet d’iles isolées d’Afrique de l’Ouest et principalement localisé sur Assôkô-Monobaha, une grande île dans le sud-est de la Côte d’Ivoire. Vers 1670, les Éotilé accueillent sur leur sol des peuples migrants alliés en quête d’asile, les Essouma, en provenance d’Issiny, une région de la Côte de l’Or limitrophe (actuel Ghana). Conformément à leur tradition d’accueil d’individus pouvant participer à leur développement économique et plus généralement à leur survie face aux ambitions des peuples voisins, les Éotilé cèdent une portion de leur île aux nouveaux arrivants.
Comme il est de coutume également dans de telles circonstances, un mariage royal d’alliance est célébré entre les deux peuples afin de sceller leur rapprochement et de faciliter leur assimilation. Ainsi, Aïko, le roi Éotilé offre-t-il sa sœur Ba à Zena, le roi Essouma, qui la trouvant trop jeune, la marie à son neveu. Cette alliance par le mariage permet aux Éotilé et au Essouma d’être désormais d’une même lignée royale et d’entériner un pacte de non-agression. Les descendants d’un tel lignage par négociation ne sont pas libres, ils sont considérés comme des enfants (esclaves) de la cour en raison du statut de servilité de leur mère. Anabia, fils adoptif de la famille régnante Essouma prend le nom de la famille régnante, Anabia.
Il en ressort qu’Aniaba, bien que de descendance noble mais trop éloigné du trône dans un système matrilinéaire ne peut prétendre hériter du pouvoir mais les Français ignorant les subtilités des coutumes locales et son statut « d’esclave » le penseront héritier naturel du royaume.
L’expansion française en Afrique de l’Ouest
En cette deuxième moitié du XVIIème siècle, les côtes africaines sont les nouvelles aspirations des puissances européennes. La France est avide de richesses afin de renflouer ses caisses plombées par les guerres avec ses voisins européens. Les faibles retours sur investissements des Compagnies successives (Compagnies des Indes occidentales, Compagnie du Sénégal…) et les échecs passés des missions d’évangélisation dans cette région ont engendré de grands espoirs dans la Compagnie de la Côte d’Or et de Guinée d’installer une domination française sur les côtes d’Afrique de l’Ouest face aux ambitions des néerlandais.
Jean-Baptiste du Casse, un capitaine de marine marchande béarnais, Directeur de la Compagnie du Sénégal et ayant prospéré grâce au commerce triangulaire conseille la création d’établissements fixes avec des forts qui permettraient de stocker les marchandises pour les vendre à des moments profitables.
C’est dans ce contexte de rivalité commerciales et de grandes espérances, qu’en 1687, une expédition de protection, de prospection et d’évangélisation au départ de La Rochelle va prendre la route vers les côtes guinéennes dans le but d’y établir des établissements permanents afin de faire le plein d’esclaves, pour la traite triangulaire, et d’or, dont on le dit en abondance dans la région.
L’expédition qui amena Aniaba en France (1687)
En cet été 1687 (*2), la Tempête, cette frégate légère de 250 tonneaux, 28 canons et pouvant transporter jusqu’à 150 hommes, prend la mer, avec à ses commandes, Ducasse. Il venait d’être intégré et nommé lieutenant de vaisseau dans la marine royale en raison de ses nombreuses actions d’éclat et de ses relations. On lui donna le commandement de la frégate la Tempête avec pour mission d’aller protéger les côtes d’Afrique qui était alors pillées par des pirates se faisant passer pour des français :
« Des forbans arboraient le pavillon français et, à la faveur de ce subterfuge, se livraient à des actes de pillage, rançonnaient les côtes de la Guinée, enlevaient les nègres qu’ils allaient revendre à Saint-Domingue. » (*3)
A son bord, des religieux de l’Ordre de Saint Dominique, dont le père François Gonzalves et le père Henri Cerizier avec pour mission d’aller prêcher l’évangile et y établir des missions qui avait périclité lors des expéditions précédentes.
A leur arrivée à Assinie, en ce 24 décembre de la même année, l’équipage fut reçu avec égard par le roi Essouma et il fut permit aux français de s’y établir. On signale également la présence sur place pendant les négociations, d’un certain « chevalier d’Amon » qui aura un rôle prépondérant dans notre histoire un peu plus tard. Il s’agit du capitaine de vaisseau Jean de Caupenne d’Amou à bord de la flûte La Loire alors en route pour l’Asie. On sait que Ducasse et Damon se connaissent bien puisque le second a longtemps servi sous les ordres du premier.
On leur confia deux adolescents indigènes, « jugés par les missionnaires d’une intelligence au-dessus de la moyenne » (*4) : Aniaba, le jeune prince-esclave alors âgé d’une quinzaine d’années, accompagné de son cousin Banga, également de lignée royale, en gage de fidélité, afin de les instruire et les élever dans le christianisme.
Deux semaines plus tard, le 2 janvier 1688, la mission quitta Assinie, Ducasse repris la route pour les Amériques (*5) et nos deux valets de couleur furent envoyés vers la France avec une lettre de recommandation du Père Gonzalves en poche présentant Aniaba comme de sang noble et le prince héritier du royaume d’Assinie. Les avis divergent sur l’étendue des connaissances du prêtre sur le statut réel d’Aniaba, laissant à penser que c’était dans l’intérêt du prêtre et du chevalier d’Amou d’obtenir les bonnes grâces et le soutien financier de Louis XIV pour la poursuite de leur entreprise dans la région.
Le Père Gonzalves allait quant à lui partir pour des contrées voisines (*6) accompagné de quelques missionnaires qui allaient tous y mourir dans les mois qui suivirent. Le Père Cerizier, lui, était resté en Assinie, désormais sous pavillon français, avec six esclaves que lui avait mis à disposition le roi Zéna.
L’arrivée d’Aniaba et le début de sa vie en France (1688-1691)
Au dire des récits du Père Labat (*7), c’est un certain Capitaine Compere, commandant d’un vaisseau marchand en route vers la France, qui aurait ramené le jeune Aniaba et son cousin en France pour en faire ses valets, mais Aniaba « lui aurait été enlevé par des gens qui avaient intérêt à le faire passer pour prince à la Cour et le jeune homme ne se fit pas beaucoup prier pour soutenir cette fourberie qui lui était avantageuse ».
A son arrivée en France en 1688, Aniaba fut logé chez un marchand de perles parisien, un dénommé Hyon, qui était en affaire avec les compagnies de commerce du Sénégal et de Guinée. On pense qu’il passait ses journées à découvrir Paris et sur conseil de monsieur Hyon, il entra dans Notre-Dame de Paris. L’histoire dit qu’il est alors saisi d’une grande émotion spirituelle en parcourant la nef principale de la cathédrale.
Les témoignages concordent pour dire qu’Anabia était un garçon particulièrement doué, brillant et charismatique au point de ne laisser personne indifférent. Pas même le roi Louis XIV à qui il fut présenté en 1690 par l’entremise de Madame de Maintenon qui était en contact avec Hyon. Particulièrement séduit par le personnage, par son désir d’épouser la foi chrétienne suite aux élèvements de Notre-Dame et peut-être également enchanté par de nouvelles perspectives d’installation permanente de la France en Guinée, Louis XIV le prit sous son aile.
Le roi exigea qu’on lui donne une excellente éducation, ainsi on lui apprit les langues classiques et la religion. Lorsqu’il fut jugé suffisamment instruit, il fut baptisé le 1e août 1691 (*8) par l’évêque de Meaux, Jacques-Bénigne Bossuet, en la Chapelle des Missions Étrangères de Paris ; ainsi fut-il converti au catholicisme sous les prénoms de Louis Jean en l’honneur de ses parrains : Jean-Baptise de Lagny, intendant général du commerce de France au nom et par ordre du roi Louis XIV.
Ainsi sous la protection de la favorite du roi et du roi lui-même, qui lui donna les moyens de mener un train de vie confortable, Louis Jean Aniaba vivait à la manière d’un jeune noble de bonne éducation.
Et Banga dans tout ça…
L’histoire de Banga, est peu connue. Grâce à sa lignée noble, il eut également accès à une éducation à la française et une formation qui le mena à devenir officier dans l’un des régiments du roi. Il fut également baptisé par Bossuet.
En 1695, Banga est ramené à Assinie pour des raisons qui nous sont inconnues mais on pense qu’il n’avait pas souhaité, à l’origine, partir d’Assinie et qu’il y avait laissé sa bien-aimée. On peut supposer, dès lors, qu’il souhaitait y retourner au plus vite. On sait que le 3 juin (*9), il quitte le port de La Rochelle à bord de la frégate le Faucon-Anglais de Jean-Baptiste de Gennes. Cette frégate de 260 hommes et 46 canons était accompagnée de 5 navires formant une escadre chargée d’aller inquiéter les établissements anglais du Sénégal et de Gambie. Le 25 août, De Gennes estimant avoir rempli sa mission et souhaitant partir pour le Brésil, confit Banga à un flibustier qui allant vers la Mer rouge pourrait le déposer sur sa terre natale d’Assinie.
On le retrouvera plus tard dans notre histoire lorsqu’Aniaba revint en Assinie, ce qui nous laisse supposer qu’il est resté dans son royaume natal après son départ de France, peut-être en tant qu’interprète.
La vie française d’Aniaba et les ambitions qu’on a pour lui (1692-1701)
Après le départ de son cousin, Aniaba continue sa vie de gentilhomme. On le crédite d’une vie dissolue animée par le jeu et les femmes ; son train de vie lui coûte fort cher. Il reçut une formation militaire parmi les mousquetaires (*10) afin d’apprendre l’escrime et l’équitation. Il bénéficia d’une charge de sous-lieutenant dans le régiment du Roi. Puis on lui délivra un brevet d’officier et une rente annuelle de douze mille livres. On dit qu’il aurait participer à des batailles dans le Hainaut en Belgique. On rapporte aussi qu’on ne le voyait pas souvent à sa charge, peut-être avait-il pris congé de la fonction. Toujours est-il qu’en 1699, ses écarts de conduite lui valent d’être muté de Normandie, où il devient Capitaine réformé dans le régiment de Creder, en garnison à Amiens en Picardie. On lui attribue plusieurs enfants avec des françaises.
En 1698, le chevalier Damon en route vers le Bénin, fait un passage à Assinie. Il conclut un accord avec les Essouma, laissant aux Français le droit d’y installer un fort et l’accès à l’or dont on dit que le pays regorge. On ne sait pas si l’accès aux mines est sur le territoire Ehotilé ou s’il est contrôlé par les Essouma, toujours est-il que Damon à besoin d’avoir une emprise sur eux pour arriver à ses fins.
Il repart avec l’assurance que les Français seraient bien accueillis lorsque le temps serait venu.
Lorsqu’en l’année 1700, Damon apprend de ses sources locales que le roi d’Assinie est mort, il sent qu’une opportunité se présente. Il fait parvenir au ministre de la Marine une lettre indiquant que le prince Aniaba, qui était en France, étant l’héritier du trône d’Assignie désormais vacant, il serait opportun de saisir cette chance.
On ne sait pas si Damon a délibérément menti pour servir ses intérêts ou s’il n’était pas au courant de l’impossibilité pour Aniaba de prendre le pouvoir dans son royaume. On ne connait pas non plus l’étendue de l’implication d’Aniaba mais on sait que Damon avait écrit à Anabia pour lui en faire part et qu’il devait écrire une lettre au roi dans ce sens et que de toute façon il n’avait pas le choix, au risque de perdre tous ses privilèges, voir « de se retrouver à la Bastille ».
Anabia n’ayant pas le choix et croyant même peut-être en la réussite de l’opération, s’exécuta et envoya une lettre au ministre, le 19 juin 1700, indiquant son souhait de retrouver son royaume afin de servir la grandeur de la France et d’y construire un fort.
Louis XIV dira alors à son protégé, déjà considéré comme le nouveau souverain de son royaume « Prince Anabia, il n’y a donc pas plus de différence entre vous et moi que du noir et du blanc ».
En 1700, Anabia fut présenté au père Godefroy Loyer, un moine jacobin de Rennes récemment nommé à la charge de créer une mission en Guinée.
L’Ordre de l’Etoile Notre-Dame (1701)
Avant de quitter la France, Aniaba fit part au roi de son vœu d’employer tous ses efforts à la conversion de ses futurs sujets et de son souhait d’instituer un ordre de chevalerie en l’honneur de la Sainte Vierge afin de les en distinguer. Louis XIV et Bossuet furent d’accord et le nom fut trouvé « Ordre de l’Etoile Notre-Dame ».
Aniaba fit faire par le peintre de la cour, Augustin-Oudart Justinat, un tableau le dépeignant agenouillé, en présence du roi et de l’évêque Bossuet, recevant la marque de son ordre des mains de la Sainte Vierge descendant du ciel accompagnée de l’enfant Jésus (*11). Il fit don du tableau à l’église de Notre-Dame dans laquelle le 12 février 1701 (*12), il est présenté par Bossuet au Cardinal de Noailles de retour de Rome qui lui remet officiellement le cordon blanc de son ordre (*13). Il intronise comme premier chevalier de son ordre, le peintre Justinat, en remerciement pour le tableau. Le tableau est resté à Paris, il fut exposé un temps dans la cathédrale puis décroché après la désillusion. Il n’a jamais été retrouvé.
En route pour l’Afrique (1701)
Le 19 février 1701, Aniaba, avant de se mettre en route pour le port de La Rochelle, laissa au Ministre de la Marine, le soin de payer ses nombreuses dettes qu’il avait contracté à Paris en raison de son train de vie exubérant.
Le 6 mars, Michel Bégon, l’intendant de Rochefort fait préparer des escadres pour la Guinée, dont le vaisseau le Poli qui sera commandé par le chevalier Damon, qu’il espère parti avant la fin du mois de mai. L’accompagnerons deux navires de la Compagnie de Saint-Domingue, l’Impudent et le Hollande.
Le 15 mars, Damon écrit depuis Rochefort :
« Monseigneur, toute la diligence que joy pu faire en chemin, n’a pas empêché que je pris sept jours à me rendre ici ; les chemins estens impraticables par le débordement des eaux ; j’arrivé en ce port Samedy dernier… Mr Aniaba est à la Rochelle, où je l’ai vu en passant ; toujours entêté de mener dans son pays des gens inutiles. Je lui ai fait connoitre qu’on ne peut rien adiouter au nombre que vous avez fixé, Monseigneur, et qu’on feroit embarquer des vivres pour trente deux personnes pendant une année conformément aux ordres.
Je vous supplie Monseigneur de donner vos ordres pour ce qui regarde la dépense de Mr Aniaba pendant quil sera à terre car il est furieux lors quil est sans argent. Mr lintendant a fait avertir ; par sous main les marchans de la Rochelle de ne plus rien donner a crédit. ; car sous ce pied la il est homme a ne laisser rien échapper…. Je pense que nous serons en état de mettre à la voile après les fêtes. »
Le 18 avril, l’escadre quitte enfin La Rochelle avec à bord du Poli, Damon et son équipage, le père Loyer accompagné d’un autre jacobin, le père Jacques Villard, Aniaba, un certain Dumesnil qui avait été nommé comme son homme de confiance et Godot son jeune valet.
Le 29 avril, en longeant l’Espagne, une tempête éclata emportant une partie de l’arrière du Poli. L’Impudent du capitaine Baffet perdit son grand mât, ce qu’il le contraint à jeter par-dessus bord une partie de sa marchandise et des planches destinées à construire l’établissement d’Assinie.
Le 1er mai, le Poli est attaqué par des corsaires venant du Maroc qui cassent leur mât de beaupré au premier abordage, ce qui laisse l’opportunité au Poli de s’échapper.
Lors de ce périlleux et long trajet (6) qui le mène en Assinie, l’arrogance d’Aniaba et son comportement exaspère tout le monde. Il est rapporté qu’il refuse de parler aux noirs du navire qu’il considère inférieurs et chaque escale est occasion à débauche. Ses manières insupportent Damon avec qui, il finit par se brouiller. Le père Loyer écrit (2) :
« Le lendemain Dimanche, de bon matin, trois Negres vinrent dans un canot, à notre Vaiſſeau, ils nous apportèrent trois ananas… L’un deux ayant vû boire du thé à Monſieur Aniaba, en demanda : on ne lui en voulu pas donner, parce qu’il n’y avoit, lui dit-on, que les blancs qui en buſſent ; mais il ne se contenta pas de cette raiſon, & ayant montré Monſieur Aniaba, il dit que puisque ce Negre en beuvoit, il en pourroit bien boire. Monsieur Aniaba se senti choqué de cette réponſe ; mais cela ne l’empêcha pas de deſcendre à terre, & d’y mener avec les Negreſſes du lieu, pendant huit jours que nous y reſtâmes, une vie qui n’édifia perſonne. »
L'arrivée à Assinie (1701)
Le 25 juin 1701 (2), en arrivant enfin, un peu avant midi, aux abords du royaume d’Assinie, des indigènes viennent à leur rencontre malgré une mer agitée. En reconnaissant le capitaine, le chevalier d’Amou, qui avait déjà fait plusieurs voyages à Assinie, ils débutent une cérémonie d’accueil en l’honneur des français, et des festivités qui dureront trois jours.
Le 27 mai, tout le monde descendit à terre et fut accueilli par le roi Akasini, Yamoké le frère du roi et une importante délégation de seigneurs, en provenance de la capitale Assôkô. Il remercia chaleureusement Damon et le roi d’avoir pris grand soin d’Aniaba. Les français sont autorisés à construire un fort, le fort Saint-Louis, et le Père Loyer a la permission de commencer sa mission d’évangélisation. Damon remontât à bord alors très satisfait de cette négociation.
Le lendemain fut consacré à la reconnaissance du lieu choisit pour l’établissement du fort où quelques jours après, le frère du roi et les français y scellèrent leurs accords :
« Après qu’ils eurent bû à leur volonté, le Capitaine Yamoké fit appeler les François, qui pour lors étoient à terre au nombre de douze ou quinze. Puis il envoya couper une branche d’arbre, & l’ayant priſe il la donna au Capitaine Emond, qui la planta dans la terre en nôtre préſence, ensuite il la fit toucher à tous les François présents, déclarant à haute voix, qu’au nom du Roi & de toute la nation, il donnoit cette Terre, & la livroit en la puiſſance des François, pour y bâtir un Fort… » (2)
Le 9 juillet, une réception solennelle à lieu à Assôkô en présence du pouvoir royal et d’une douzaine de français dont Damon, le père Loyer et Aniaba ainsi que Banga son cousin, que nous retrouvons ici, en tant qu’interprète. Il semble que les Essouma appréciaient que les français fut chez eux plutôt que les anglais ou les néerlandais. Le roi insista pour que Damon et Aniaba se réconcilient, ce à quoi Damon répondit favorablement, et il demanda à ses hôtes la raison de leur venue. Ce à quoi les français, après d’interminables courtoisies, répondirent qu’ils désiraient « établir la foi Chrétienne, & d’enſeigner à ſes ſujets le chemin du Ciel, & enſemble de lier un bon commerce entre ſes peuples & les François, leurs anciens amis, dont ils tiroirent dans la ſuite un grand ſecours, tant pour leurs besoins, que pour les deffendre contre leurs ennemis, nous avoit attirez du fond de la France, & amenez chez-eux, dans l’eſpérance qu’ils répondroient de leur côté aux bonnes intentions que ſa Majesté Très Chrétienne avoir pour eux, dequoi Monſieur Aniaba là présent, & le même Banga qui nous ſervoir d’interprete, nous pouvoient ſervir de garants ». Le roi les remercia de leur franchise et ajourna l’audience.
On avait pensé un temps donner la gouvernance du fort à Aniaba mais l’idée fut vite abandonnée. Il ne fut pas reconnu par le pouvoir royal comme héritier légitime. Il causa même l’irritation du régent en place, Akasini, de par son attitude hautaine. Les français se plaignirent de son attitude mais rien ne changea. Il fut même soupçonné de comploter contre les intérêts des Français en essayant de convaincre les Essouma de la fourberie des Français. Sans réussite, il essaya de convaincre les peuplades voisines d’empêcher la construction du fort. Pour déplaire aux Français, il s’était dépouillé de ses habits et de sa religion.
Les présents qui avaient été transmis par Louis XIV à Damon pour le couronnement d’Aniaba, ne lui furent jamais donné ; ils furent offerts au roi Akasini, à son frère et son neveu.
Aniaba fut peu à peu abandonné y compris par les Essuma et confiné chez les Ehotilé.
Les trois vaisseaux et Damon quittent alors Assinie, le 23 septembre 1701, en laissant nos deux missionnaires Loyer et Villard, un gouverneur, un lieutenant du roi, le commandant De la Vie, ainsi que la garnison composé de 35 hommes pour garder le fort. Dumesnil, qui avait été nommé commandant, mourut ainsi que l’écrivain royal du navire. (14)
L’attaque du fort Saint-Louis par les Hollandais (1702)
Aux alentours du 14 juillet 1701, les travaux de construction du modeste fort Saint-Louis débutèrent pour s’achever le mois suivant.
L’année suivante, le 4 novembre 1702, une escadre de quatre navires hollandais passa en bonne vue du fort. Le 5, un vaisseau hollandais maquillé sous pavillon français s’approcha des côtes mais ne réussit pas à duper les Français. Il repartit alors rejoindre son escadre non loin.
Le 11 novembre, l’escadre des Hollandais mouille à proximité du fort en plein après-midi.
Le lundi 13 au matin, les navires hollandais, en réponse aux coups de semonces des Français, pilonnent le fort. Un boulet de canon ayant touché une ruche attenante du fort, les Français doivent sortir précipitamment, ce qui fut pris pour une fuite par les Hollandais qui débarquèrent aussitôt. Mais les Français revinrent aidés de leurs alliés Essouma qui leurs tendirent une embuscade si bien que la cinquantaine de hollandais débarqués furent tous tués ou fait prisonniers. Les morts furent dépouillés et les indigènes leur coupèrent mains, pieds et têtes, ce qui découragea les vaisseaux hollandais qui s’éloignèrent le jour même. Aucun des français ne fut tué mais le fils ainé du roi Essouma avait eu la jambe arrachée par un boulet de canon, il mourut trois jours après.
Cela mis un terme à l’attaque du fort. Aniaba brilla par son absence lors des combats, il était parti se mettre à l’abri durant trois jours, ce qui diminua encore le peu d’estime restante qu’avait les Français à son égard. A son retour, il félicita le commandant pour son succès.
La fin de l’établissement des Français à Assinie (1703-1704)
Les Hollandais qui s’inquiétaient pour leurs prisonniers, dépêchèrent des émissaires locaux à leur solde pour négocier une rançon. Non seulement, ils ne payèrent aucune rançon mais ils furent si habiles en négociation que ce sont les indigènes qui payèrent un fort dédommagement. Les Français content de ne plus avoir à nourrir les prisonniers n’intervinrent jamais dans la négociation. Les Français perdirent peu à peu l’affection des africains.
Le père Loyer après avoir passé près de deux ans à Assinie, partit en mars 1703. Ne restait plus que quelques français qu’on y avait oublié sans ressources suffisantes ; ils en furent réduits à vendre leurs habits pour pouvoir subsister. Ce n’est qu’en juillet 1704 (15) qu’il furent récupérés par le capitaine Grobois à bord de l’Emporté en route pour le Bénin, afin de faire le plein d’esclaves pour l’Amérique du Sud où il devait rejoindre Le Poli de Damon. Loyer retrouva en France le père Villard qui avait été déclaré mort. On abandonna le fort Saint-Louis, ce qui mis fin aux ambitions françaises en Côte d’Ivoire pendant très longtemps.
Anabia continue sa vie sans les Français (1704-?)
Aniaba, quant à lui, avait souhaité repartir pour la France où la vie était sans doute plus plaisante et sans doute y avait-il laissé quelques enfants. Il embarqua sur un des navires d’une compagnie française mais sur le chemin du retour le capitaine le débarqua sur les côtes ghanéennes, encore en raison de son attitude arrogante ? On sait qu’il était devenu une gêne et pour ne pas mettre le roi dans l’embarras, on suppose que l’on se débarrassa de lui au plus vite pour ne pas qu’il revint à la cour.
On dit qu’il aurait pris cause pour les Hollandais et les Anglais et même qu’il serait devenu en 1704 conseiller du roi de Quita, sous le nom d’Hannibal Lewis. Mais qu’il y serait mort trois ans plus tard selon certains.
Il s’est dit aussi qu’il fut aperçu en France ou quelques années plus tard par un représentant de commerce hollandais qui voyageait entre Ouidah et Accra et le décrivit comme le plus riche et prospère membre de la communauté (16). Cela restera un mystère…
En conclusion...
Pour faire un lien avec l’époque moderne, rappelons la parole du roi Amon N’Douffou V, roi de Krindjabo, capitale du royaume du Sanwi en Côte d’Ivoire qui avait déjà fait l’actualité internationale en 1992 lorsque Michael Jackson, en quête de ses origines, s’y était rendu. Le roi avait indiqué en 2019 que son royaume partageait une histoire avec la Cathédrale Notre-Dame de Paris, où un prince y avait été baptisé en 1687. Il avait alors annoncé son désir de contribuer à la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame à Paris suite à l’incendie : « Les images ont troublé mon sommeil et je n’ai pas pu passer la nuit, car cette cathédrale représente un lien fort entre mon royaume et la France. Je suis en pleine consultation avec mes notables, nous allons faire un don pour la reconstruction de ce monument ».
Naissance d'Anabia
Anabia quitte l'Afrique
Baptême
Formation militaire
Mutation à Amiens
Mort du roi d'Assinie
Fondation de l'Ordre de l’Etoile Notre-Dame
Départ pour Assinie
Arrivée à Assinie
Attaque des Hollandais
Abandon du fort
Bibliographie / Notes
1. Cohabitation entre les Essouma et les Eotilé à Assôkô aux XVIIe et XVIIIe siècles (2018 – Revue Performances) & Les esclaves dans les sociétés Akan de la Côte de l’Or : entre intégration parfaite et exclusion (2018 – Revue RAMRes) par Adjé Séverin Angoua
2. Relation du voyage du royaume d’Issyny : Côte d’Or, païs de Guinée, en Afrique… (1714) par Godefroy Loyer
3. Histoire maritime de Bayonne. Les corsaires sous l’ancien régime (1895) par Édouard Ducéré
4. Histoire des colonies françaises et de l’expansion de la France dans le monde (1931) par Maurice Delafosse
5. Étude sur la France maritime et coloniale par le baron Robert du Casse (1876)
6. Relation du voyage du royaume d’Issyny : Côte d’Or, païs de Guinée, en Afrique… (1714) par Godefroy Loyer
7. Notre librairie (1987) Clef
8. Correspondance de Bossuet Janvier 1701-octobre 1702 (1909-1925) | Jacques Bénigne Bossuet
9. Relation d’un voyage fait en 1695, 1696 et 1697 aux côtes d’Afrique, détroit de Magellan, Brésil, Cayenne et isles Antilles, par une escadre des vaisseaux du Roi, commandée par M. de Gennes (1699) par François Froger
10. Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France | 1910 (Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France
11. Les dernières années de Bossuet (1928-1929) par François Le Dieu
12. Catalogue analytique des archives de M. le baron de Joursanvault (1838)
13. Recueil de tous les costumes des ordres religieux et militaires avec un abrégé historique (1778) par Jacques-Charles Bar
14., 15. Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis (1930)
16. Effects of the Atlantic Slave Trade on Some West African Societies (1975) par Albert Van Dantzig
· Royaume Essoua d’Assinie – royaumeessoumadassinie.com
· Histoire générale des voyages, ou Nouvelle collection de toutes les relations de voyages par mer et par terre qui ont été publiées jusqu’à présent dans les différentes langues. (1746-1801) par John Green, Antoine François Prévost, Étienne-Maurice Chompré…
· Dix ans à la Côte d’Ivoire (1906) | François-Joseph Clozel
· Prince Aniaba. Le mousquetaire ivoirien de Notre-Dame de Paris (2023) | Serge Bilé
Crédit photos
1. Carte particulière de la partie principale de la Guinée située entre Issini et Ardra par le Sr d’Anville (1729) – Bibliothèque nationale de France